Un mirage dans l'agenda du pasteur... et ses funestes conséquences !

Publié le par Tane

Un mirage dans l'agenda du pasteur... et ses funestes conséquences !

L'un de mes collègues propose à chaque réunion qu'on mange ensemble, qu'on boive un café etc. Et à chaque fois, occupé qu'on est tous par ailleurs, on lui répond non merci.

Et puis un jour, en prenant un café avec lui et sa femme, j'ai enfin compris : il souffre du syndrome de solitude aiguë du pasteur.

Y en a une ribambelle comme ça.

Un paquet de pasteurs qui partent en dépression, en burn-out... sûrement parce que ce boulot, si on n'y fait pas attention, c'est comme de vivre seul sur une petite planète que personne ne vient jamais visiter. Une petite planète tellement bien cachée qu'au fond, personne ne sait qu'elle est là, et qu'elle finit par avoir l'air minuscule...

Parce qu'à bien y réfléchir, en dehors du dimanche matin et d'une activité par-ci par-là, le reste du temps il disparaît où le pasteur ?

Les collègues savent pas exactement ce que fait chacun dans son coin, personne ne nous donne d'emploi du temps, d'ailleurs si vous regardez un agenda de pasteur avec 2 semaines d'avance, vous ne verrez probablement que 2 ou 3 rendez-vous éparpillés sur la semaine, on ne pointe pas, on ne fait pas de compte-rendu d'activité...

Heureusement, il y a le culte pour montrer que, malgré tout, on fait au moins un truc par semaine ! mais bon, 1h de boulot hebdomadaire, ça justifie pas notre paie diraient certains, avec raison.

La solitude du pasteur vient de plusieurs éléments combinés :

  • on ne compte pas les heures, et du coup, comme lorsqu'on travaille, c'est pas un boulot de forçat comparé à d'autres métiers, ou pire, parce qu'on y prend plaisir, on se dit toujours qu'on peut faire plus. Ca fait des pasteurs qui peuvent dépasser les 80h par semaine et qui ne prennent pas leur seul jour de congé hebdomadaire.
  • le plus gros de notre travail est invisible : on le fait tout seul dans notre coin, et quand on le fait bien, ça ne se remarque pas. C'est quand il y a un problème que les gens commencent à s’interroger sur notre charge de travail !
  • comme on travaille tout le temps avec les paroissiens (soit on les voit, soit on prépare des trucs pour leur offrir des temps de spiritualité et de communion), on se dit que le pasteur a une vie sociale bien remplie. Professionnellement, oui. Mais les paroissiens c'est pas des copains. Alors, à moins d'avoir une activité régulière de loisirs où l'on peut voir d'autres personnes, nos copains : c'est nos collègues. Et comme nous, ils sont très pris. Donc on ne les voit pas souvent. Ce qui fait que la vie sociale personnelle est extrêmement limitée.
  • les rares fois où l'on travaille à l'extérieur de notre bureau, c'est quand les autres ont du temps libre : résultat, on est libres quand les autres bossent... pas hyper pratique pour se caler une soirée raclette ou une aprem jeux de société ! à peu de choses près, ma vie est la même comme serveuse et comme pasteur...
  • Vu que nos heures de loisir sont fantaisistes et peu prévisibles à l'avance, si on arrive à passer du temps en famille c'est déjà bien...

 

Alors que faire pour tous ces pasteurs qui, comme mon collègue, sont tous seuls ?

Arrêter de se dire que c'est parce qu'on prend plaisir à travailler qu'on ne travaille pas. Oui, 2h passées à faire une belle affiche, même si on s'éclate à le faire, c'est du travail. Oui, aller rendre visite à un paroissien qu'on apprécie en buvant un thé et mangeant une part de gâteau, c'est du travail. Oui, passer une aprem à faire du coloriage avec des paroissiens, c'est du travail. Oui, lire un bouquin de théologie, c'est du travail...

Et forcément, quand on compte tout ça, on s'aperçoit très vite qu'il nous faudrait des journées de 48h et un bon stock de cocaïne pour tenir le coup (mais je suis à peu près sûre que c'est illégal...).

On peut faire plein de choses différentes, y passer le temps qu'on veut, choisir ses activités. C'est peut-être là que le mal commence. On a 2 ou 3 trucs par semaine qui sont obligatoires : par exemple un culte, une réunion, une activité paroissiale. Et tout le reste, on voit en fonction.

Le problème, c'est que le premier jour de la semaine, on constate qu'on n'a pas grand chose de prévu.

 

Un mirage dans l'agenda du pasteur... et ses funestes conséquences !

Nous sommes mardi matin*, il est 8h, on se dit : bon, je commence à préparer le culte pour dimanche, disons le texte biblique et la prédic**, ça fait environ 4h devant le clavier et les bouquins plus quelques heures de réflexion en arrière-plan d'une autre activité, je prépare la réunion, mettons 2 ou 3h pour ça, la réunion ça va durer 2h, en ce qui concerne l'activité, je vois les bénévoles pour préparer (allez hop, 1h avant la prépa, 2h pendant, et de nouveau une bonne heure après), l'activité en elle-même dure 2h... 

T'as que 2 ou 3 trucs de prévu, tu penses qu'il y en a pour 13h... et déjà tu t'es planté, parce qu'en vrai, c'est souvent plus long que tes estimations (panne d'inspiration, temps de tailler le bout de gras avec les bénévoles, problèmes techniques en tout genre, et surtout, surtout, les interruptions !). Alors tu te dis, "tiens, je vais appeler Madame Qui-s'est-fait-opérer-de-la-hanche pour lui proposer une visite". Rdv est pris, en plein milieu d'une journée, comme il se doit.

Car s'il y a bien un truc chronophage que tu oublies de compter, c'est les interruptions !

T'es donc en train de préparer ta réunion, et ding, un mail qui arrive, alors comme tu es curieux, tu l'ouvres, et comme tu essaies de te discipliner, tu notes d'y répondre, mais tu crois pas que t'y penseras, alors tu réponds tout de suite. Mais pour ça, faut sortir ton agenda, ou un dossier... Tu te remets à ton autre pain sur la planche pendant 5 min. Et puis le téléphone sonne. C'est les pompes funèbres. Alors, tu sors le dossier prépa d'enterrement. Et t'appelles le sacristain, tu bookes un organiste (en gardant un oeil sur les calendriers de chimio que les 2 ou 3 organistes de ton répertoire t'ont donnés pour ne pas les déranger inutilement), tu rappelles la famille pour convenir d'une date et d'un rdv de préparation (qui sera donc calé au milieu de nulle part, et l'enterrement sera juste avant ton activité, histoire de pas être speed), tu rappelles les PF pour leur dire que c'est Ok et t'en profites pour te renseigner un peu sur les circonstances du décès. Tu te remets à ta prépa de réunion. Et la trésorière de la paroisse passe pour te parler d'un truc. Tu t'interromps. C'est l'heure du facteur, tu vas récupérer le courrier : une invitation à la commémoration du 11 novembre, tu notes sur l'agenda, une facture, que tu mets dans le casier du trésorier, des courriers de l'Eglise, que tu mets sur ta pile à lire (et tu notes qu'à un moment donné, faudra les lire, sinon ça va se perdre), un avis de passage d'EDF, d'il y a une heure, qui n'a visiblement pas réussi à trouver la sonnette. Tu notes de les rappeler. Tu te remets au boulot. Entre temps, 3 mails sont arrivés, tu te refais avoir comme pour le premier. Tu te remets au travail. Tu profites de 20 min intenses d'inspiration, et t'es content. T'as fait 1/4 de la préparation de la réunion... Le téléphone sonne : c'est le collègue d'à-côté pour parler du KT. Tu sors le dossier KT. Quand il te souhaite bon appétit, tu te rends compte qu'il est déjà midi et que t'as rien de prêt pour manger. Tu lances des impressions de feuilles de culte : le temps que la machine chauffe, tu prépares à manger vu que ton/ta che(è)r(e) et tendre bosse à l'extérieur et que c'est quand même toi le plus proche géographiquement des fourneaux. Et puis t'as la chance de pouvoir t'organiser comme tu veux, cela va sans dire. T'as l'impression d'avoir rien foutu de ta matinée, mais tu dois quand même utiliser les 2h de pause que tu t'octroie pour entretenir la maison et faire les trucs perso (et chiants) que t'as à faire. 

Il est 14h, tu te remets au travail. Et je vous la fais courte, ça se passe à peu près comme le matin... Le soir, faut speeder, y a la réunion, faut tout boucler. Ton bureau est un foutoir sans nom. T'aimerais le ranger et tu te demandes si ça compte en heure boulot ou perso. De toute façon, là il faut y aller.

Tu rentres de ta réunion à 23h30, tu discutes un peu avec ton conjoint. T'as la bêtise de regarder tes mails, tu réponds tout de suite, ce sera ça de moins à faire demain matin et tu pourras te coucher sans écrire mentalement des réponses en boucle dans ta tête pendant 1h...

 

Et tous les jours, le cirque recommence. Résultat, on est vendredi soir, ton culte n'est pas tout à fait fini. T'as pas fait autant de visites que t'aurais voulu. Sur ton agenda, y a plein de trucs entamés que t'as pas finis. Plusieurs rdv se sont ajoutés dans la semaine... t'as dû décaler tes heures de boulot, t'en es à 40h et c'est pas fini, puisque le week-end, y a le culte et les activités paroissiales (genre celles qui durent longtemps : 2h de KT; 2h de chorale ou même une journée entière d'activités artistiques)...

 

Alors sortir voir des potes, t'y penses même pas !

 

Comment faire concrètement ?

  • Une fois par mois (au moins !!) se réserver une soirée, si possible : se mettre d'accord avec les copains pour avoir la même (sinon, c'est ballot) et s'y tenir ! C'est pas très spontané, mais clairement avec ce boulot, on peut pas vraiment faire mieux...
  • Organiser son travail et arrêter de se laisser interrompre : au final, on fera la même chose, mais en blocs plus ou moins longs, ce qui laisse plus satisfait à la fin. Exemple : ouverture des mails et réponses uniquement entre 9h et 10h; 16h et 17h puis 21h et 22h. Permanence téléphonique : en même temps que les mails. Ouverture du bureau seulement 1 jour sur 2, une fois le matin; une autre l'aprem, de préférence les jours de marché. Les gens arrivent bien à s'arranger pour passer à la poste ou dans les commerces quand c'est ouvert, y a pas de raison !
  • Compter vraiment les heures de boulot, et s'astreindre - dans la mesure du possible - à ne pas dépasser les 50h semaine, sauf en période de rush (donc septembre, novembre, décembre, mars, avril et juin; c'est déjà la moitié de l'année où tu bosses trop)... mais si, ça devrait être faisable !
  • Faire à fond de la pédagogie envers les paroissiens : je vous assure, même si je vous aime, j'ai besoin de temps pour moi et pour d'autres gens que j'aime, et j'ajoute que même pour eux, je suis pas dispo H24.... et puis à l'heure du tout immédiat, parfois faut attendre 2h pour avoir une réponse, c'est pas si pire en fait !
  • A long terme, ce serait bien cool qu'on bosse davantage en consistorial et qu'on soit pas tous les collègues d'un secteur à faire tous la même chose en même temps : chacun son KT, chacun son étude biblique, chacun son culte... Franchement, ça multiplie le temps de travail d'autant qu'il y a de pasteurs (genre 3 pasteurs qui passent 2h par semaine à préparer une étude biblique, ça fait quand même une journée de travail pastoral en tout) alors qu'en vrai, pendant l'activité, y a 2 personnes chez l'un, 3 chez l'autre et encore 3 dans la troisième paroisse... et ça mobilise 3 pasteurs en soirée. C'est vraiment pas très viable comme système. Donc répartissons-nous les tâches entre collègues !
  • Compter les temps de ressourcement (genre évasion dans un couvent pour 2 jours) comme du temps de travail, sinon, on le fait jamais et on s'épuise spirituellement. Et c'est con parce que c'est notre matière première au boulot, tout le reste rame quand ça arrive !
  • Quand t'es en congé (et le jour de congé devrait être sacré - tiens ça me rappelle vaguement un truc dans la Bible, genre le tout premier commandement qui y apparaît en plus...) ou en vacances, tu t'organises avec tes collègues pour le roulement, et surtout, surtout, tu préviens les PF que de telle date à telle date, c'est pas toi qu'il faut appeler mais ton collègue. Un point c'est tout !

Bref, tout ça se résume à un seul commandement (et je ne comprends pas qu'il n'apparaisse nulle part dans la Bible) :

 

Apprends à dire "merde" parfois***.

(ferme, mais gentiment, hein)

 

Un mirage dans l'agenda du pasteur... et ses funestes conséquences !

* parce que souvent, le jour de congé c'est le lundi...

** t'auras encore la liturgie et le choix des chants à faire...

*** Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu !! je crois que le pasteur, il a dit un gros mot !!! (et le geste là, c'était pas un signe de croix, nion, nion, nion...)

Publié dans Vie pastorale

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